Rencontre avec Raymond Blanc

Peu connu du public français, le chef Raymond Blanc est de l’autre côté de la Manche, une vraie star. Le chouchou des Anglais. Un charisme époustouflant, le gars, il faut dire. En quelques grands gestes, il vous emporte dans son tourbillon de bonne humeur, vous fait partager sa passion. 2 étoiles Michelin au compteur. Saviez-vous qu’il a formé d’autres grands noms – Heston Blumenthal, Marco Pierre White, William Curley, Micheal Caines… 28 chef étoilés en tout.  Rajoutez qu’il est en sus directeur culinaire d’Eurostar ! Rencontre.

Un vendredi matin. Dans un mini studio d’enregistrement sur Soho. Comprenez, le 4ième étage d’un building. 3 pièces. Minuscule mais efficace. Raymond Blanc enchaîne ce jour-là les interviews radio. Il faut dire que la journée précédente avait été des plus pétillantes. Un record Guinness de dégustation de champagne, à bord de l’Eurostar, entre Londres et le tunnel, histoire de fêter les 20 ans de la marque. 515 passagers, coupe en main! Le chef était à bord, bien sûr. Il raconte à merveille la surprise des passagers, prévenus au dernier moment. Les businessmen joyeux, les couples plus amoureux que jamais, les regards pétillants de bonheur. The Love train! Il note au passage une évolution du palais britannique. Trois crus étaient proposés – brut, demi sec, doux. Il y a cinq ans encore, les Anglais auraient choisi d’emblée le plus sucré. Cette fois, ils ont opté, sans hésitation pour les deux premiers choix. Hourra !

Les journalistes, à l’antenne, lui demandent conseil. Peut-on inclure le champagne dans son régime? Oui, répond-il si l’on choisit plutôt du brut. Moins de sucre… Il rappelle au passage que le Champagne est une appellation contrôlée, liée à une région. Un savoir-faire, une pureté particulière… Le mélanger à un cocktail? Pourquoi pas… Mais n’est-ce pas gâcher un peu une si belle élégance? Et puis, l’Angleterre, souligne-t-il partage le même sol que la Champagne (une couche géologique qui passe sous la Manche, et oui). D’où des vins pétillants qui, d’un test à l’aveugle, se laissent parfois prendre pour un grand nectar. Le Camel Valley, par exemple. Son conseil? Préférez les Pinot Noir.

Entre deux interviews express, il revient vers nous. Sans rien oublier de la conversation entamée 10 minutes plus tôt. Capacité fascinante de tout intégrer, de jongler. Il nous raconte son parcours. J’en avais lu des bribes sur le web. En live, c’est extraordinaire. Il s’illumine, se fait théâtral, fait vivre les scènes. Il a mis du temps à choisir sa carrière. Architecte peut-être? Il tente le dessin industriel. En a horreur, déteste prismes, rectangles, est amoureux des courbes, des volumes. Réorientation vers les Beaux-Arts : après tout, il a déjà un bon coup de crayon… Bon, mais réalise-t-il, pas au niveau. Pas à ce niveau. Il a horreur de la médiocrité. L’usine? L’enfer de ne pas exister, d’être un simple numéro.

Il retourne à Besançon. Admire le ballet des serveurs et des maitres d’hôtel dans un restaurant, l’uniforme rouge, les épaulettes. Comprend, en un instant que c’est là l’univers qui lui convient. Il se faire embaucher, est mis dans un premier temps au nettoyage. Puis à la plonge. Il développe des techniques pour essuyer les verres à la perfection, les faire briller, diminue la casse de moitié. Les sommeliers l’adorent. Il observe, aussi. Comprend qu’un restaurant, ce n’est pas que de beaux plats mais un ensemble de microclimats. La salle, un pinceau de lumière ici, la formation des jeunes, les comptables, le business.

Il n’a fait aucune école de cuisine. Mais la connait bien par sa mère, Maman Blanc, centrale à sa vie. Une femme modèle qui lui a insufflé une philosophie paysanne : des aliments simples mais de qualité et surtout, surtout, suivre les saisons. Il confie ses avis au chef. Trop salé ou pas assez, trop riche. C’est un géant. Des yeux noirs, des moustaches qui frétillent lorsqu’il est en colère. Ce chef, c’est Dieu en cuisine. Masi Dieu… de mauvaise humeur.  Le clash. Vlam. Poêle à frire en pleine poire. Les urgences, une dent en moins, l’égo aussi en a pris un coup.

Que faire? Se morfondre? A quoi bon! Raymond Blanc transforme le malheur en opportunité et s’exile en Angleterre pour une deuxième chance, humblement. Nous sommes dans les années 70. L’Angleterre est complètement dissociée de la nourriture –  on mange parce que c’est l’heure, pas par plaisir. On mâche, on avale. La restauration est l’un des métiers les plus décriés. Plus bas que terre. Vous êtes invisibles, on regarde à travers vous. Il trouve un poste dans un pub, au service. La nourriture y est mauvaise. Il emmène son espresso avec lui, chaque jour – au moins ça de pris! Le chef tombe malade – il saute sur l’opportunité, prend en charge la cuisine sur 3 jours. Les clients aiment. Victoire!

6 mois plus tard Raymond ouvre son premier restaurant, avec sa femme Jenny, près d’Oxford. Du mauvais côté de la ville, du mauvais côté de la rue. Coincé entre Oxfam et une boutique de lingerie. Vieillotte, pas de l’Agent Provocateur. Faute d’argent, il fait au mieux. Nappes rouge et blanc. Affiches de Paris. Un coq argenté… en plastique, bricolé pour l’occasion. Un fourneau de 1951, un Kenwood archaïque… qui marche toujours! Il se souvient encore du premier repas servi : deux hommes d’affaire, en pleine discussion, nageant dans les chiffres. Une fois d’assiette devant eux, silence… Ils hument. Leur visage s’éclaire. Ils aiment déjà, victoire! Et là, avant même d’avoir goûté, ils saisissent la salière… et assassinent le plat. Le succès est fulgurant dans l’année.

Aujourd’hui, on peut parler d’un empire. Le célèbre Manoir aux Quat’ saisons, bien sûr, doublé d’un hôtel, d’une école de cuisine. Les Brasseries Blanc, à travers le pays. Une vraie collaboration avec Eurostar. Comprenez, un vrai travail d’équipe, un énorme investissement sur le développement durable. Les menus utilisent des producteurs locaux. En Angleterre pour les plats au départ de Londres (et depuis peu, l’après-midi des afternoon teas!). En France, au départ de Paris. En Belgique au départ de Bruxelles. Raymond Blanc insiste pour rendre visite à tous les fournisseurs, ne laisse rien passer. Met en avant, chez Eurostar, une véritable éthique et la volonté de faire bouger les choses. Quitte à faire évoluer les menus toutes les six semaines.

Une vocation de faire changer les choses – le voici président de The Sustainable Restaurant Association qui regroupe 4000 adresses sur l’Angleterre. Il faut considérer la nourriture autrement juge-t-il, à travers ses liens avec la science, le bien-être, l’environnement. S’impliquer.

A suivre bientôt sur BBC Two – Kew on a plate. Un jardin de fruits et légumes crée par le chef dans ces terrains royaux, suivi sur quatre saisons.

Chapeau bas, Chef Blanc.

unnamedRaymond Blanc / Eurostar

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