Mon job ? Faire rêver de voyage, en mots ou en images. Dénicher des adresses décalées, des expériences alternatives, des lieux féeriques. Je suis toujours prête à sauter dans un train, un avion. J’ai beau barouder, comme beaucoup, je connais finalement peu la région où j’habite le Hampshire. Il était temps de s’offrir une aventure dans les environs, le long du Thames Path… On pense peu, en effet, à la Tamise en dehors de Londres. Et pourtant, il est tant à découvrir en dehors de la capitale ! Venez, je vous emmène.
9 h : voyage dans le temps à l’abbaye de Reading
Reading, traversée bien souvent, n’était qu’une grande ville comme une autre, définie par ses boutiques, ses bars, ses restaurants. Plutôt des chaînes à première vue. Et pourtant, se déroule là, à deux minutes de marche de la gare, une belle page d’histoire… Les ruines de l’abbaye, fermées depuis plus de 10 ans pour rénovation, sont de nouveau accessibles au public.
Remontons dans le temps. Henri 1er souhaitait être enterré dans un lieu exceptionnel. Son choix ? Une abbaye, qu’il ferait construire spécialement. Fut choisi ce terrain, pile entre deux rivières, la Kennet et la Tamise. Son cercueil serait transporté par bateau, une allée dessinée spécialement pour l’amener des rives jusqu’à l’autel. Chaque détail se devait d’être royal. Voyez, dans les photos ci-dessous, le bâtiment moderne, dont le sommet se finit en lame (son surnom, d’ailleurs) ? C’est la taille qu’atteignait à l’époque le monastère en question. En 1121, dans un paysage urbain qui dépasse rarement plus de 2 ou 3 étages, elle s’imposait donc comme grandiose. On la cherchait du regard pour trouver son chemin dans la campagne.
Henri meurt en Normandie en 1135. Ses entrailles seront dans un premier temps enterré sur Rouen, le corps embaumé puis ramené en Angleterre. Reading sera l’un des lieux de pèlerinage les plus importants du pays et ce jusqu’à la dissolution des monastères par Henri VIII. L’abbaye sera par la suite désossée : vitraux et plomb, de grande valeur, seront volés et revendus, les pierres utilisées pour d’autres constructions. Restent aujourd’hui quelques pans majestueux : transept, salle capitulaire, dortoir, l’arche de l’ancien moulin… et le pavillon d’entrée (sur Abbey Street), qui menait au logement de l’abbé. Il servit par la suite de pensionnat pour jeunes filles et accueillit en 1785 deux étudiantes de renom : Jane Austen et sa sœur, Cassandra. Au 19ème siècle, toutefois, le bâtiment menace de s’effondrer. Un architecte est appelé à la rescousse : Sir George Gilbert Scott, dont vous connaissez déjà l’œuvre principale, la gare de St Pancras.
De ce pavillon (Gate House), vous apercevrez Forbury gardens, avec son adorable fontaine centrale et ses parterres fleuris. C’est ici que se dressait autrefois la cour de Reading Abbey. Faites un détour pour admirer St James Church, aux abords du parc, dessinée par un autre architecte victorien de renom : A. W. N. Pugin. Inconnu au bataillon ? Il a pourtant conçu l’intérieur du Palais de Westminster et la tour la plus célèbre de Londres, celle qui abrite Big Ben ! La façade de l’église, toute en silex, vous donnera une idée de l’élégance de l’abbaye à l’époque. Il en reste même un pan de mur, dans le parking annexe.
Mais qu’est-il advenu de la sépulture d’Henri 1 dans ce chaos ? Mystère. Les historiens l’estiment enterré près de l’autel qui, géographiquement serait aujourd’hui sous la Forbury Nursery, une adorable crèche. Le tombeau serait-il encore là, sous les fondations ? Peut-être. La Guerre Civile, qui a donné lieu à des affrontements violents sur ce site, a pu aussi bien le mettre à jour que le recouvrir de décombres.
Des jardins, vous pourrez accéder facilement aux ruines de l’abbaye. Les murs ont beau avoir perdu quelques mètres de hauteur, ils gardent une majesté, une élégance indéniable. Des herbes folles poussent à leur sommet : une méthode utilisée au Moyen-Age pour renforcer la structure, ralentir l’érosion. Parlez-donc aux locaux en vous promenant d’une salle à l’autre. Beaucoup se souviennent avoir joué là enfant et vous montreront des détails que vous n’aviez pas remarqués. Ils y amènent aujourd’hui leurs enfants, petits-enfants. L’abbaye compte bien conserver cet esprit communautaire et propose déjà un beau programme de concerts, pièces de théâtre et expériences immersives en plein air.
Une rumeur circule : à l’arrière de l’abbaye se trouve la Prison de Reading, elle aussi dessinée par Sir George Gilbert Scott. Oscar Wilde, condamné pour homosexualité, y servit une partie de sa peine. Décommissionné en 2013, il serait question de la transformer en centre culturel. A suivre !
Plus d’information : Reading Abbey quarters
11h30 : cours de cuisine au Miller of Mansfield
A une vingtaine de minutes de voiture se trouve le petit village de Goring, de ceux que l’on aperçoit en feuilletant dans les magazines en se demandant s’ils existent vraiment. Des vagues de fleurs sauvages s’épanouissent près du parking, suivis d’adorables jardins, impeccablement tenus. Dans la rue principale, les façades d’antan abritent des boutiques indépendantes, des délis, les produits choisis avec choix, passion. Difficile de résister à cette atmosphère presque familiale, où chacun se connait, échange les nouvelles du jour. On ne parle pas tant ici de politique, de la une des journaux que des communes alentours…
Quelques pas plus loin se dresse The Miller of Mansfield, ancienne auberge-relais bâtie au 18ème siècle, le lierre marbrant sa façade de briques à merveille. Mary et Nick Galer reprennent l’établissement en 2014, après avoir tout deux travaillé dans l’empire d’Heston Blumenthal. Ils insufflent au lieu leur amour des pièces élégantes et chaleureuses, des plats généreux, des tables autour desquelles se retrouver entr’amis. Ne vous reste qu’à choisir l’atmosphère. Lové dans les beaux fauteuils du bar, avec feux de cheminée l’hiver ? Rêveur, dans la cour plantée de rosiers, d’iris, de lavande ? Dans le gastropub, tentant de décider quel plat de saison choisir ?
L’adresse s’offre même de belles chambres romantiques à l’étage. Idéal, donc, pour un week-end évasion : la gare, toute proche, dessert Londres Paddington et les bords de la Tamise offre de belles opportunités de balades.
J’arrive just’à temps pour assister à l’une des démonstrations de cuisine de Nick Galer. Une sorte de crash course en petit groupe, donnant le sentiment d’être en conversation. On bavarde, on échange ses impressions, ses essais ratés, ses succès, les articles lus, on pose mille questions sans se sentir une seule minute dans ses petits souliers devant ce grand chef.
Tout est abordé, simplement mais efficacement : quelle machine choisir selon son budget, comment préparer à partir de farine 00 et de quelques œufs une belle gamme de pâtes fraiches, obtenir une souplesse parfaite, transformer un simple cercle de pâte en tortellini, mezzelune, ravioli…
La farce ? Des petits pois, un peu de beurre… Une saveur printanière qui met presque à genoux.
La cuisson ? Quelques minutes à peine, pour ce mordant incomparable, ce fondant irrésistible.
Enfin un cours que l’on se sent capable, une fois rentré chez soi d’appliquer sans hésitation !
Suit un déjeuner chaleureux, en compagnie du chef. Du pain maison, moelleux, encore chaud. Un nid de de pâte filo, garni de pousses naturellement poivrées et d’une quenelle de petits pois… en crème glacée, une belle surprise. Du grondin grillé à la perfection, accompagné de ravioli au cœur d’avocat, d’une sélection de tomates savoureuses. En dessert, une version sophistiquée du célèbre Eton Mess : fraises fraiches et en sorbet, saupoudrées de poivre rose, mousse de caillé de chèvre. Un macaron sur le bord d’une tasse de thé. Un soupir de bonheur.
Se dévoile ici un véritable amour quant à la qualité des ingrédients, une créativité pour les relever d’un simple assaisonnement plutôt qu’une sauce, une élégance toute en légèreté. L’atmosphère se prête aussi bien aux Sunday lunches en famille qu’aux dîners romantiques, dansant d’une atmosphère à l’autre sans effort. The Miller est, sans hésitation, de ces adresses qui recevront sous peu une étoile Michelin… A découvrir, donc, avant que sa réputation n’atteigne les journaux londoniens et que toute réservation ne s’accompagne d’une liste d’attente.
Plus d’information : The Miller of Mansfield
14h30 : Basildon House et ses jardins
Tout roadtrip, en Angleterre, se doit un détour par une propriété du National Trust. Direction Basildon Park, à 20 minutes de route du Miller. Une fois garé, il suffit de suivre le chemin forestier pour découvrir cette merveille d’architecture palladienne.
Les travaux commencèrent en 1776, s’arrêtèrent en 1783, incomplets. En 1914, le bâtiment sert d’hôpital aux troupes convalescentes. Puis de terrain militaire pour tank (baraquements compris), de camp de prisonnier durant la seconde guerre mondiale. Imaginez donc la scène : les soldats, pour passer le temps, s’entrainer à tirer en décapitant les statues du parc. Vous en trouverez quelques exemples dans la bibliothèque, souvenir de temps révolus.
En 1950, Basildon n’est plus qu’une coquille vide, une ruine sans même une seule vitre entière. Lord et Lady Iliffe, pourtant, s’y arrêtent, lui trouvent une âme, un charme particulier et l’achètent dans la foulée. Les intérieurs, rénovés sont somptueux : entrée néo-classique, escalier en spirale spectaculaire, salon octogonal, une galerie dont le mobilier est tout entier décoré de coquillages… Ne ratez pas, surtout, les études de Graham Sutherland’s pour sa tapisserie “Christ in Glory” accrochée dans la cathédrale de Coventry. Un chef d’œuvre.
Les Iliffe restaurèrent également avec soin les jardins, qui offrent de belles vues sur le domaine. Sculptures qui semblent flotter au-dessus des parterres de fleurs, abeilles s’énivrant de digitales, océan de pivoines… Les rosiers, plantés dans les années 60, étiolent des constellations de pétales dans la brise. Je reste émerveillée devant la cascade de pompon magnifiques, chaque fleur comme positionnée par un peinte préraphaélite.
Je n’avais prévu qu’une après-midi sur Basildon House. Quelle erreur ! Me restent 400 hectares de forêt à explorer, riches en orchidées sauvages l’été. Je repars à regret, en me promettant de revenir avec amis et pique-nique.
Plus d’information : Basildon House
17h30 : flâner le long de la Tamise
Retour au Miller of Mansfield. Une tasse de thé. Enfiler des chaussures de marche. C’est parti !
Près du pont enjambant la Tamise, je m’arrête devant l’ancienne demeure de George Michael, qui vécut là jusqu’à sa mort. Il faisait d’ailleurs partie des réguliers du Miller… Après l’écluse de Goring, un sentier mène à St Mary’s où Charles Dodgson (mieux connu sous le nom de Lewis Caroll) prêcha en 1864. Bien qu’ordonné prêtre, il s’écartera de cette voix. De là, il est facile de rejoindre les bords de la rivière, étonnamment paisible. Difficile de croire que c’est là le même cours d’eau qui traverse Londres ! De belles maisons – la plupart avec leur propre ponton, des centaines d’oies parsemant leurs plumes sur les berges, un étal vendant des groseilles et soudain, au-dessus de champs d’herbes folles, des voiles, comme une illusion…
Smartphone, médias sociaux, notifications, 4G sont vite oubliés. Un sacré compliment de nos jours !
19h: dîner au bord de l’eau, au Beetle and Wedge Boathouse
Les saules pleureurs s’épanchent vers la Tamise, leur feuillage tombant parfois en rideau sur le chemin. En 1889, Jerome K. Jerome décida de ramer d’Henley à Windsor dans une petite barque. Le voyage lui inspira son célèbre ouvrage, Trois hommes dans un bateau. Léger regret de ne l’avoir pas emmené, histoire d’en parcourir ici quelques pages.
Une équipe d’aviron apparait, glissant avec grâce. Quelques secondes à peine et l’embarcation a disparu, laissant place au Beetle and Wedge : un ancien hangar à bateau transformé en restaurant. Le lieu parfait pour profiter du crépuscule, une coupe de prosecco en main… et dîner : la promenade creuse l’appétit. Je demande aux habitués de me recommander leurs plats favoris : certains viennent toutes les semaines.
La salade de crabe se révèle splendide, la sauce réhaussée de paprika. La star reste le filet de dorade, servi sur un lit de salicorne : le beurre noisette aux câpres qui l’accompagne est un chef d’œuvre. Demandez également à goûter le rösti de la maison, croustillant à l’extérieur, crémeux au cœur, addictif à souhait. Le dessert s’impose, pour profiter des lieux plus longtemps encore, admirer les premières guirlandes d’étoiles s’allumer dans le ciel…
Aucune envie de refaire la route en sens inverse de nuit. Goring n’est qu’à 10 minutes de voiture. Ou vous pourriez passer la nuit-là, le Beetle and Wedge propose de belles chambres avec vue sur la rivière.
Plus d’information : The Beetle and Wedge Boathouse
22h : rejoindre les bras de Morphée au Miller of Mansfield
13 chambres, chacune son charme, son décor, son style. De vrais cocons : lit confort, commode ancienne, douche italienne et produits REN… Une parenthèse de rêve. Et sur le bord de la théière (et machine Nespresso), toujours une douceur faite maison, des biscuits au sirop doré lors de ma visite. A dévorer en même temps qu’un roman, bien enfoncée dans une montagne de coussins moelleux, en se sentant un peu princesse.
Beaux rêves garantis.