Parce que le nord de l’Angleterre n’en est pas moins majestueux. On entend beaucoup parler de la beauté de York, Lincoln apparait moins sur le radar. Et pourtant, quelle ville! De Doddington Hall, j’apercevais déjà son imposante cathédrale. De près, elle se révèle aussi impressionnante que Notre Dame. Impossible de la prendre toute entière en une photo! Il faut dire qu’elle est vraiment au cœur de la cité, immédiatement entourée d’habitations. Le château lui fait face. En quelques minutes de promenade, on est déjà sans voix. Petit aperçu en 24 heures…
J’aime arriver dans une ville sans avoir de repère, d’attente. La découvrir peu à peu, comme on ouvre une boîte de chocolat enrubannée… Inconvénient, par où commencer? Je saute dans un bus Hop On Hop Off dont le tour commence juste devant la cathédrale. Bonus: si le temps est au beau fixe, le toit s’ouvre pour vous laisser profiter du soleil.
Les commentaires offrent un crash course sur l’histoire de Lincoln du temps romain à nos jours et permet de prendre ses repères sans effort. La cathédrale étant construite sur une petite colline, les promenades musclent les mollets! Le ticket étant valide toute la journée, il suffit de profiter des 9 arrêts du bus pour remonter facilement.
Vous l’avez compris, la star de la ville, c’est la cathédrale avec ses tourelles, ses sculptures. Et pourtant tout a commencé par une simple forteresse de style normand, en 1088. Une sorte de cube en pierre avec une entrée somptueuse… et une charpente en bois qui part en fumée en 1141. Qu’à cela ne tienne, elle est reconstruite, a structure agrandie… jusqu’au tremblement de terre de 1185 (le plus fort, dit-on, que l’Angleterre ait connu), qui la détruit presqu’entièrement. Retour à la case départ. L’évêque Hugues d’Avalon lève les fonds nécessaires, demandant l’aide de tous. L’histoire dit qu’un jeune berger lui donna ses économies. Hughes lui répondit qu’ils étaient aussi grands l’un que l’autre aux yeux de Dieu. Levez les yeux lorsque vous êtes face à l’entrée. Chacune des tours est coiffée d’une sculpture, l’une d’un évêque, l’autre d’un berger jouant de la flûte, tous deux de même taille…
Hugues d’Avalon fait donc reconstruire la cathédrale et lui offre son élégance gothique. Transepts, contreforts, voûtes en croisée d’ogives, elle est moderne pour son temps! Il mourra en 1200, bien avant que les travaux ne soient achevés. Très aimé du peuple pour sa dévotion aux pauvres, il est canonisé en 1220. Lincoln devient lieu de pèlerinage, attirant les foules.
En 1311 s’achève la construction de la tour centrale, à laquelle s’ajoute un clocher. 160 mètres de haut : le chiffre impressionne peu aujourd’hui. A l’époque, toutefois, la cathédrale de Lincoln est le bâtiment le plus haut… du pays oui, mais aussi au monde, dépassant même la Grande Pyramide. Ce clocher, vous ne l’apercevrez malheureusement pas : il fut emporté par une tempête en 1549. Les tours frontales en possédaient elles aussi. Lorsque la ville, les jugeant trop fragiles, décida de les ôter, les habitants se révoltèrent. Il fallut le faire en pleine nuit, sans que personne ne s’aperçoive.
Pour mieux apprécier le monument, rejoignez donc l’une des visites guidées. Plus particulièrement celle qui vous mène sur le toit (plus exactement sur la petite terrasse au dessus du fronton). Elle permet de passer dans les coulisses et de voir les différences d’époque dans la construction (certaines briques, rosées, datent du tout premier incendie)… mais aussi l’impact des cloches (13 aujourd’hui) sur la structure, fragilisée par leur poids et renforcée bien des fois au cours des siècles.
L’escalier vous mène d’abord sur un petit balcon avec vue sur la nef… Il faut l’imaginer à l’ère médiévale, lorsque tous les murs étaient peints de fresques éclatantes. Peu savaient lire, la Bible était donc expliquée en dessins, comme une bande dessinée sans parole. Avec ses teintes écarlates, ses touches d’or, ses richesses, ses bougies… l’église est un avant-goût du paradis. Belle évasion d’un quotidien empreint de dureté…
Etape suivante, la tour des sonneurs (l’ensemble de cordes tricolores que vous apercevez ci-dessous s’appelle une Spider, une araignée) avant de vous retrouver sous les toits. Un peu comme dans Alice, vous êtes passés de l’autre côté du miroir. Il y a une quinzaine de minutes, vous admiriez un plafond extraordinaire. Vous êtes à présent au-dessus. Ces poutres fabuleuses posent aujourd’hui problème quand vient le moment de les remplacer. Celles d’origine viennent d’arbres plantées en l’an 900, certainement de la forêt de Sherwood toute proche. Oui mais voilà… le concept de replanter les forêts est récent. Difficile de trouver du bois de cette épaisseur de nos jours. Même la solution de secours, le pin baltique, commence à manquer. Pas de clou métallique ici, English Heritage impose d’utiliser les techniques traditionnelles et d’utiliser des chevilles de bois. On aperçoit aussi des dômes, moins glamour de ce côté, forcément! Le charpentier en réalisait la forme en bois, les maçons la recouvraient de pierres puis de chaux en guise de mortier et enfin d’une couche de plomb. La chaux étant lente à sécher, le maître d’œuvre devait convaincre ses travailleurs en escaladant la structure, histoire de prouver qu’ils ne couraient aucun risque.
Une fois redescendus dans la nef, notre guide révèle d’autres anecdotes. L’abondance de vitraux, par exemple, la lumière étant divine. Plus l’église est lumineuse, plus l’on se sent près de Dieu. Ou la différence entre le côté sud de la nef, ensoleillé donc divin et richement décoré… et le côté nord en conséquence maléfique. Les processions d’ailleurs passent d’abord du côté sud puis retournent à leur point de départ par le nord. Voyez le fond baptismal en pierre de Tournai noire, dont seuls 8 existent encore dans le pays? A l’époque médiévale, cela dit, l’eau n’était changée que 2 fois l’an. Il faudrait des pages entières pour vous conter les milles petites histoires de la cathédrale de la tête de Saint sa librairie médiévale à la salle du chapitre où furent tournées des scènes du Da Vinci Code… Si vous avez le temps revenez à l’heure des vêpres, lorsque les touristes sont partis. L’atmosphère est encore plus magique.
En quittant les lieux pour rejoindre le château, on passe sous cette magnifique porte de pierre… Voyez ces 3 portes? Il s’agissait autrefois de l’entrée principale pour accéder à la cathédrale, important lieu de pèlerinage. Le nombre de visiteurs était tel qu’une porte servait à la file d’entrée, l’autre à celle de sortie.
On venait de loin prier Saint Hugues d’Avalon. Mort en 1200, canonisé en 1220, il fut décidé en 1280 de déplacer son corps pour que plus de fidèles puissent se recueillir devant les reliques. Le cercueil est ouvert, la dépouille, en excellent état, sortie. L’évêque s’apprête à poser sa main sur celle-ci – la tête se détache. Elle sera posée sur un plateau d’argent, les reliques dans un coffre d’or, d’argent et de pierres précieuses et le tout exposé côte à côte dans l’église auprès du corps, une scène peu commune. En 1364, le tout est volé par des vandales qui abandonnent la tête dans un champ… La légende raconte qu’un corbeau veilla sur celle-ci ne laissant personne approcher sinon l’évêque. Lors de la dissolution des monastères par Henri VIII, les reliques disparaissent de nouveau. Elles ne seront jamais retrouvées.
En moins d’une minute, juste le temps de traverser la place et vous voici au château, rénové récemment et rouvert au public en 2015. Passez donc la porte pour en saisir l’ampleur! La visite des bâtiments est payante, mais la cour est ouverte à tous. Vous y trouverez un petit café pour vous restaurer ou prendre de quoi pique-niquer. L’été, on peut y profiter de concerts, de cinéma en plein air.
Une petite projection près de la boutique de souvenirs permet de saisir l’histoire des lieux. Après sa victoire à la bataille de Hastings en 1066, Guillaume le Conquérant continue son avancée sur le nord de l’Angleterre. Il y construira plusieurs châteaux, comprenez par là des postes d’observation stratégiques. En témoignent les remparts fortifiés, 500 mètres de promenade avec une vue imprenable sur la région (et la cathédrale!). Le sentier de garde traverse une drôle de tourelle à ciel ouvert plantée d’un arbre. C’est la Lucy Tower, un petit cimetière qui abrite les corps des 7 meurtriers exécutés ici.
Si les habitations d’origine ont disparu au fil des batailles et des siècles, restent encore la Cour de Justice (toujours en activité)… et la prison victorienne, aujourd’hui transformée en musée. Le concept en était révolutionnaire : les prisonniers avaient droit à leur propre cellule, recevaient une éducation. Les teintes étaient dans les tons clairs, une baie vitrée baignait la pièce principale de lumière, bref, une lueur d’espoir. Les archives, soigneusement tenues, ont permis de retracer l’histoire de quelques détenus, joués par des acteurs plusieurs fois par jours ou présentées sur des tablettes interactives. On peut aussi essayer les tenues de l’époque. Ne ratez pas la partie archéologie! Lors des rénovations, des fouilles ont mis à jour une chapelle romaine à une quinzaine de mètres de profondeur avec un sarcophage intact ainsi que des bijoux, des instruments de musique en os…
Le plus marquant, toutefois, m’a paru être la chapelle dont les sièges (en pente pour éviter tout confort et surtout les siestes) étaient séparés par des partitions. Aucun contact, aucun regard échangé. La scène est particulièrement marquante vue de la chaire – seul le visage des mannequins est visible, parfois just’une partie selon leur taille. De même, les promenades étaient organisées en solitaire. On comprendra, vue la logistique, que le modèle n’ait pas été gardée.
Il est encore des pèlerinages sur Lincoln. Ce ne sont plus les reliques de Saint Hughes devant lesquelles on vient s’émerveiller mais la Magna Carta. Cette charte, imposée au roi Jean Sans Peur en 1215, fut le tout premier pas de l’Angleterre vers une démocratie. Elle accorde un minimum de libertés aux citoyens ainsi que le droit à un procès équitable. Un manuscrit qui a tour changé : jusque-là, la noblesse était toute puissante. Plusieurs copies furent faites à l’époque, soigneusement écrites à la main, chacune un format différent. Il n’en reste aujourd’hui que 4 (celle-ci, une à Salisbury, deux à la British Library). Une pièce fut conçue pour exposer le document dans les meilleurs conditions – lumière spéciale, contrôle de l’humidité. Fabuleux comme un simple texte peut vous tant vous impressionner que vous marchez, instinctivement, à pas feutrés et préférez murmurer…
En sortant, je rejoins une autre visite guidée autour du passé romain de Lincoln. Je me tiens au croisement de deux routes, sur le chemin entre la cathédrale et le château. Plus exactement, je me tiens sur l’ancienne voie romaine, qui porte aujourd’hui le nom de Bailgate. En la remontant, on croise des petites boutiques… En fait rien n’a changé : du temps romain, se tenait là une galerie couverte. Des cercles, au sol, indiquent l’emplacement des colonnes. Restent quelques vestiges – l’ancienne porte de la ville, quelques murs, des illustrations représentant le quartier. Un vrai voyage dans le temps.
Reste encore une balade à faire dans la ville – Steep Hill, toujours à partir de la même place entre les 2 monuments principaux. Comme son nom l’indique, la rue descend la colline en pente ferme. On s’en rend à peine compte, zigzagant d’une boutique vintage à une petite galerie d’art, d’un salon de thé à une librairie…
De belles enseignes en bois, des maisons de style tudor – bref, un charme fou…
Steep Hill continue sur une rue piétonne avec des commerces plus modernes. Tournez au niveau du canal pour apercevoir la sculpture de l’artiste Stephen Broadbent, Empowerment, faite de l’aube de deux turbines – un clin d’œil au passé industriel de la ville.
En remontant vers la cathédrale, un détour s’impose aux deux musées d’art de Lincoln, entourés d’un parc – Usher Gallery et The Collection, dont l’entrée est gratuite.
L’idéal? Prévoir sa visite autour des nombreux festival et marchés organisés par la ville – 300 chaque année, dont un marché de Noel médiéval sur le parvis de la cathédrale – et y passer le week-end.
Où rester?
Au White Hart, à deux pas de la cathédrale et du château. On ne peut pas mieux placé! Bonus, un parking gratuit… et une petite terrasse secrète (demandez à la réception) avec une super vue sur la cathédrale.
Où se régaler?
>> Dans les salons de thé et pubs de Steep Hill – le Wig & Mitre est particulièrement bon.
>> The Crafty Bottle (sur Steep Hill) aussi vend des craft beers locales – Spicy Sausage, Old Tom (le nom d’un des cloches de la cathédrale), 1215 (année de la signature de la Magna Carta)…
>> The Cheese Society (tout en bas de Steep Hill) a une belle sélection de fromages de la région, ainsi qu’un petit café avec plateaux de charcuterie et de fromage, soufflés au fromage, mac’n’cheese gourmets. Profitez-en pour essayer le plum bread, une spécialité de Lincoln.
>> A tester aussi, le meilleur fish’n’chips du pays, chez Chippy. La friture est légère, croustillante et le poisson savoureux au possible…
>> Pour en savoir plus, faites un tour sur Visit Lincoln <<
Mais quelle magnifique découverte cette ville !! Je retourne à Londres en octobre et je cherchais justement des endroits que je n’avais pas encore visité. La cathédrale donne vraiment envie. Merci pour cet article pleins d’informations et très bien écrit 🙂
@Maeva Ravie que tu sois sous le charme! Tu me raconteras ce que tu en as pensé 🙂
Superbe ! J’adore ! Je ne connaissais pas du tout cette petite ville.
Merci de la découverte 😉
@Tiphaine Pas si petite que ça, c’est une ville universitaire. Mais le coeur historique se fait facilement. Je recommande!